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Les ingénieurs systèmes, pionniers de la XR ?

Avatars professionnels dans un monde virtuel

Crédits photos : DALL·E

La XR, ou réalité étendue, tend à devenir la quatrième révolution numérique après les ordinateurs, Internet et les téléphones portables. En permettant la concrétisation de cas d’usages novateurs que les autres technologies ne peuvent tout simplement pas réaliser, elle commence déjà à impacter la société dans son ensemble et change la façon dont nous consommons et interagissons avec l’information. Mais beaucoup se demandent si la XR a le potentiel de prendre de l’ampleur. Plus l’argent afflue dans le secteur, plus il y a d’outils créés pour aider de nouvelles personnes à y entrer. À moins que vous viviez dans une grotte, vous avez sûrement entendu parler d’outils que n’importe qui peut prendre en main pour créer des applications basiques après un peu d’auto-apprentissage. Les outils comme Unity, ZapWorks et Blippar offrent aux développeurs un éventail de possibilités pour se mettre dans le bain, avec une multitude de matériel et de cours pour débuter. Cette facilité permet d’ouvrir des barrières d’entrée à tous, d’où la démocratisation de la technologie.

Des jeux-vidéos au métavers

Quand on parle des métavers, ou plus généralement “les mondes en rendu numérique”, nous faisons référence à une réseau d’espaces virtuels en trois dimensions qui permettent de s’immerger dans un monde généré par ordinateur. À travers un alter ego synthétique, un avatar, ils permettent d’avoir des interactions sociales en surmontant l’aspect physique de notre corps. L’interaction sociale est plus facile car les obstacles de distance sont surmontés par la physique dans le monde réel et les limites d’une simple application sociale. Le métavers, souvent considéré comme l’évolution d’Internet, est aussi une source potentielle de revenus importants et pour cette raison, de plus en plus d’entreprises veulent concrétiser cette idée en quelque chose d’accessible et de vendable.

La plupart du temps, les entreprises qui n’utilisent pas les technologies immersives pensent que les métavers relèvent de l’univers du jeu vidéo et du divertissement ou sont réservés aux férus de tech et aux geeks. Nous avons déjà dépassé ce stade, car certains logiciels industriels commencent à faire leur apparition dans le domaine, et la frontière entre l’ “industrie” et les cyberespaces de divertissement futile devient de plus en plus floue.

Soyons clairs, il est communément admis qu’un métavers n’est pas seulement une création numérique, mais qu’il s’agit, au sens plus large du terme, toute réalité créée par l’Homme pour répondre à sa volonté de créer et de façonner la réalité en fonction de ses propres besoins et attentes. Tous les métavers ne sont pas accessibles avec un casque ou tout autre appareil ; certains utilisent la technologie de la blockchain, et d’autres utilisent les deux. Nous sommes loin de la convergence à ce stade.

Qu’est-ce qu’un ingénieur système ?

Un ingénieur est une personne qui a obtenu un diplôme dans une école d’ingénieurs. Si vous pensez ça, je vais m’efforcer d’élargir quelque peu vos horizons. Cela semble sans intérêt de définir ce que les auteurs veulent dire par ingénierie, mais il est essentiel de s’aligner sur ce point clé. Un ingénieur est quiconque qui fait preuve d’ingéniosité pour créer quelque chose, ou dans notre domaine précis, quelqu’un qui utilise les technologies pour créer de la valeur, pour enrichir la substance du monde et pour bénéficier à l’humanité. De la même manière, l’ingénierie des systèmes est une manière de penser, et non pas un badge que l’on doit obtenir en passant un examen. Tous ceux qui se posent les bonnes questions sont des ingénieurs systèmes.

Plus précisément, un ingénieur système peut gérer de la complexité en exploitant de nombreux outils, certains spécifiques à la discipline de l’ingénierie des systèmes, d’autres empruntés d’autres domaines tels que la gestion de projet, la gestion des risques, la cartographie des parties prenantes, la modélisation fonctionnelle, et bien d’autres encore. Qu’est-ce qu’un système ? Tout est un système ou fait partie d’un système, de l’appareil que vous utilisez pour lire cet article au système de gouvernement que nous avons choisi, en passant par le système solaire dans lequel notre planète tourne dans le cosmos.

Dans cet article, nous parlerons également du cycle de vie du système. Comme le cycle de vie humain comprend la grossesse, la petite enfance, l’enfance, la puberté, l’adolescence, l’âge adulte, l’âge mûr et le troisième âge ; le système technologique comprend les phases de planification, de faisabilité ou d’analyse, de prototypage ou de conception, de développement, de test, de mise en œuvre et d’intégration, d’exploitation et de maintenance, et de délivrance.

Une brève histoire de la XR, vue par un ingénieur système

On pourrait dire que pour intégrer la technologie dans votre produit et en exploiter tout le potentiel, une connaissance approfondie du sujet est nécessaire. Le contre-argument de cette supposition c’est qu’un ingénieur système joue souvent le rôle d’intégrateur d’un “système” ou de fabricant d’une expérience immersive. Par conséquent, le lecteur sera donc dispensé de savoir que le mot “métavers” apparaît pour la première fois en 1992 dans un roman de science-fiction de Neal Stephenson appelé Le Samouraï virtuel, où des humains, sous forme d’avatars programmables, interagissent entre eux et avec des agents logiciels dans un espace virtuel tridimensionnel ; ou que l’un des premiers appareils VR grand public est le Nintendo VirtualBoy™, un simple gadget plutôt prometteur.

Machine de réalité virtuelle des années 1990

Oui, certaines anecdotes amusantes peuvent être puisées de notre expérience personnelle. Étant l’un des derniers millenials, ma première expérience d’immersion (et je fais partie des plus chanceux) fut celle de machines volumineuses installés dans le parc d’attractions de ma ville à titre d’attraction temporaire. Le système était lourd et encombrant et impliquait de porter une mini-TV devant ses yeux. La résolution était extrêmement médiocre et les expériences se limitaient à une poignée de jeux vidéos. Pourtant, c’était suffisant pour déclencher mon imagination et laisser la porte ouverte à une reconnexion avec la technologie plus tard dans ma vie, faisant appel à une certaine nostalgie.

De retour en 2015, après l’échec des ambitieuses Google Glass, les premiers casques Oculus sont arrivés dans les laboratoires de société d’ingénierie où ils ont éveillé la curiosité d’employés entreprenants comme moi, désireux de faire progresser la technologie pour battre la concurrence. Quelques ingénieurs chanceux ont eu l’opportunité de tester l’HoloLens de Microsoft, inaccessible pour la plupart des gens. Dès lors, les mots “mise à l’échelle” et “industrialisation” sont apparus comme une possibilité réelle. C’était le début de la 4e révolution industrielle. Avec l’informatique quantique, l’impression 3D, l’Internet des objets, l’intelligence artificielle et plein d’autres, la VR naissante a gagné sa place sur l’étagère des technologies prometteuses pour la décennie à venir.

Gérer la complexité : l’art de la modélisation

La modélisation n’est rien d’autre qu’un moyen de gérer la complexité d’un système. C’est une abstraction ou une simplification du système. Il y a beaucoup de types de modèles : abstraits, analytiques et physiques. Pour les passionnés de XR, le premier modèle qui vient en tête c’est probablement les modèles 3D ou les éléments numériques utilisés pour créer des expériences immersives. La réalité étendue peut jouer un grand rôle dans le développement d’une approche de l’ingénierie qui soit véritablement centrée sur le modèle. À ce stade, quelques définitions s’imposent : 

  • Ingénierie Digitale : Une approche digitale intégrée qui utilise des sources de données et de modèles de systèmes comme un continuum entre les disciplines pour soutenir les activités du cycle de vie, de la conception à la phase de traitement. (DAU Glossary) (Defense Acquisition Guidebook)
  • Ingénierie des systèmes basée sur les modèles (MBSE) : Exécution de la discipline (ingénierie des systèmes) utilisant les principes du modèle numérique pour la modélisation et la simulation de comportement physique et opérationnel tout au long du cycle de vie du système (INCOSE)

L’application centrale de l’approche MBSE implique l’utilisation d’un modèle de système unique qui sert de “source de vérité” pour tous les outils d’analyse des systèmes embarqués. Un modèle de système peut alors interagir avec un environnement en réalité virtuelle pour analyser les performances du système. Les ingénieurs systèmes peuvent lancer des simulations interactives et immersives de scénarios décrits dans les modèles de systèmes, et réinjecter les résultats obtenus dans l’environnement en réalité virtuelle dans les modèles de systèmes. En utilisant l’environnement VR, l’analyse d’un système peut être réalisée de manière plus efficace, en impliquant le client dans le cycle de vie du produit dès le début. Les clients peuvent plonger dans l’environnement VR pour voir la conception du système et interagir avec lui. En se basant sur les résultats de cette interaction, les ingénieurs systèmes peuvent faire évoluer le produit ou service, plus particulièrement ses caractéristiques et modèles.

Les méthodes XR4MBSE et MBSE4XR : quelles différences ?

La terminologie XR4MBSE et MBSE4XR est une extrapolation de la référence populaire, parmi les ingénieurs systèmes, de AI4SE et SE4AI, utilisé pour l’intelligence artificielle. Cela fait référence à l’association de deux disciplines, la première étant utilisée pour soutenir la seconde et vice-versa. Dans notre cas, ces acronymes ont pour but d’indiquer ce qui suit.

XR4MBSE, c’est l’utilisation de la réalité étendue pour améliorer les processus d’ingénierie des systèmes (basés sur des modèles) : par exemple la validation virtuelle d’un système, c’est-à-dire prouver que le système fonctionne avant même sa construction (c’est comme ça que les avions sont certifiés). Dans l’illustration ci-dessous, sont présentés quelques exemples de domaines où la technologie XR pourrait être bénéfique à la création et l’opération de différents systèmes.

Catégorisation de cas d’usages XR dans l’industrie

MBSE4XR c’est l’utilisation de la MBSE pour améliorer la technologie XR. Ce côté est un peu plus évident puisque l’utilisation de la MBSE pour développer des systèmes XR lourds est similaire au développement de n’importe quel système. Cependant, l’utilisation de la pensée “systémique” pour améliorer la conception d’expériences immersives et de matériels d’immersion, bien que n’étant pas unique, est certainement bénéfique pour la réduction des erreurs qui coûtent chers à réparer plus tard dans la vie du système. C’est la quintessence et l’avantage le plus fondamental de l’ingénierie des systèmes. 

Par exemple, dans l’illustration,  vous pouvez voir une proposition de cycle de vie d’un système XR : des lunettes de ski de réalité augmentée. Le besoin d’un système comme celui-ci devra être attentivement analysé, de manière à ce qu’une expérience utilisateur et une analyse de rentabilité puissent être élaborées, avant même que la proposition ne soit faite à des investisseurs potentiels.

MBSE4XR, le cycle de vie d’un système XR

Ingénierie des systèmes : clarification et définition

À ce stade, il est intéressant de comprendre si la définition d’un modèle, sa simulation et sa représentation virtuelle nous permettent d’économiser du temps et de l’argent au cours du cycle de vie du système. Par conséquent, la MBSE est une approche émergente dans le domaine de l’ingénierie systèmes et peut être décrite comme l’application formalisée des principes, méthodes, langages et outils de modélisation à l’ensemble du cycle de vie des systèmes socio-techniques complexes et interdisciplinaires. La définition simplifiée de la MBSE, fournie par Mellor, qui “…est simplement le concept selon lequel nous pouvons construire un modèle d’un système que nous pouvons transformer en un système réel”, nous aide à transposer la MBSE dans la réalité virtuelle où nous devons gérer des systèmes complexes ou des systèmes de systèmes.

L’essence même de la MBSE est basée sur l’application de modèles qui peuvent être appliqués à un système ou même à des systèmes qui existent déjà dans la réalité, dans lesquels les limites n’ont pas encore été délimitées et qui concernent à la fois les aspects techniques tels que les interfaces, l’intégration et le tests, et les aspects managériaux tels que la gouvernance. C’est pourquoi l’ingénierie systèmes ne se concentrent pas uniquement sur le système en lui-même, mais aussi sur les limites et les interactions entre des systèmes apparemment indépendants et évolutifs.

De la nouveauté à l’essentiel de la techno

Les entreprises qui intègrent avec succès la XR ont identifié un problème clair qu’elles tentent de résoudre. Cette affirmation semble évidente mais il est surprenant de voir comment les entreprises et les individus, même des responsables de l’innovation expérimentés, s’enthousiasment pour des nouveaux appareils et logiciels et les achètent volontiers pour les tester et les utiliser. Malheureusement, ces essais ne s’accompagnent pas de véritable plan ou cycle de vie pour l’intégration de ces appareils dans le “système” de l’entreprise.

Il est essentiel d’examiner et d’analyser soigneusement les problèmes et les solutions potentielles avant d’acheter des solutions XR. Pour aider à comprendre les types de problèmes qui peuvent être résolus, il y a de nombreux cas d’usages, bien établis et compris par l’industrie, qui ont été fournis par diverses entreprises dans le monde entier.

Un mot d’avertissement : les problèmes réels des entreprises ne correspondent pas à des cas d’usages bien définis. En réalité, il est plus que probable qu’il faudra combiner plusieurs éléments de cas d’usages différents pour résoudre un problème qui est unique à votre entreprise. Toutefois, comprendre les opportunités et les problèmes qui peuvent être résolus aide les entreprises à se concentrer sur leurs projets, créer des caractéristiques et des exigences claires, et veiller à intégrer la XR avec succès. L’utilisation des principes de la pensée systémique et de la méthodologie basée sur les modèles  contribuera grandement à résoudre les “vrais” problèmes des entreprises. Vous obtiendrez ainsi des avantages tangibles et un retour sur investissement qui est essentiel pour garantir le financement et le soutien futur de votre projet XR.

À propos de l'auteur

Alessandro Migliaccio est diplômé en ingénierie des systèmes spatiaux à l'université de technologie de Delft, il travaille actuellement en tant que responsable du développement de l'ingénierie des systèmes chez Airbus. Expert en technologie de la réalité mixte et futuriste en herbe, avec plus de dix ans d'expérience professionnelle dans des entreprises aéronautiques de plusieurs pays, il a dirigé des projets d'analyse de données visant à optimiser et à adapter les programmes de maintenance des avions. Ingénieur diplômé de la Royal Aeronautical Society, il cherche à affiner ses compétences en trouvant de nouvelles façons d'améliorer le travail d'équipe avec de nouveaux paradigmes basés sur l'épanouissement professionnel, la stimulation des talents et la démocratisation des technologies de niche. C'est dans ce but qu'il a fondé AIShed, une association de talents bénévoles dédiée à la sensibilisation et à la recherche.