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Recto VRsoInterview

Explorer le corps entre réel et virtuel avec Esteban Fourmi

L'expérience Whist de l'artiste Esteban Fourmi qui mélange art et réalité virtuelle

Crédits photos : Compagnie AOE

De passage à Nantes pour la journée thématique autour de la réalité virtuelle organisée par Stereolux, Esteban Fourmi a pris le temps de partager son point de vue. Artiste français au sein d’une compagnie anglaise, Esteban Fourmi a conçu, avec Aoi Nakamura, Whist, une expérience de réalité virtuelle où l’inconscient du spectateur guide l’histoire. Le projet de la compagnie AΦE sera présenté pour la première fois en France. Esteban Fourmi sera également présent à la table ronde “Corps réel / Corps virtuel” qui posera la question des limites entre réel et virtuel. L’occasion de questionner l’artiste sur la place du spectateur dans les performances avec l’arrivée de la VR dans l’art, et de la nouvelle façon de créer une oeuvre avec les nouvelles technologies.

Impliquer le spectateur et le réel dans la performance

La table ronde à laquelle vous allez participer s’intitule “Corps réel / Corps virtuel”. La notion de corps est aujourd’hui assez importante au sein des expériences immersives.

Oui, oui. Par exemple, les corps de mes danseurs n’existent pas, ils sont en virtuel. Et les corps du public, on a toujours voulu les garder dans le réel. On les garde dans le réel mais en même temps, ils se promènent dans le virtuel. Comme on ne pouvait pas bouger la caméra quand on filmait, on a essayé de faire voyager le spectateur dans le virtuel. Son corps est dans le réel, et on a créé des choses pour ça. Par exemple, le trigger pour l’objet est à un certain point et si deux personnes essayent de déclencher l’objet au même moment, les corps de chaque participant vont se toucher. S’il y a un participant qui est déjà dans la scène, et s’il y a un deuxième qui veut essayer de déclencher le même objet, il va devoir justement passer à côté du premier participant qui lui voit déjà la scène ; ils vont rentrer en contact. Et c’est ça qu’on voulait : on voulait toujours garder le spectateur dans le réel. Par rapport au corps des danseurs, on les a symbolisé par les sculptures qui sont dans la pièce. C’était important pour nous de créer une présence performative, donc de la part de nos danseurs. Cela s’est fait à travers les objets.

C’était donc important de ne pas proposer une expérience 100% virtuelle, mais garder une notion de présence ?

Oui, le but du jeu c’était de garder le spectateur dans le réel à chaque moment de la performance, même lorsqu’il voit une scène dans le casque, on voulait garder la présence réelle. C’était un point très important dans la création de Whist. Le corps du spectateur devient le corps de la performance. Pour ça, on a chorégraphié les danseurs dans un premier temps, et après à chaque session, on tournait une nouvelle chorégraphie dans la pièce avec les corps des spectateurs qui eux ne s’en rendent pas compte. Les autres personnes autour observent, eux, une chorégraphie dans le réel.

Aujourd’hui, il y a beaucoup de possibilités dans l’art avec la réalité virtuelle. C’est devenu une nouvelle façon de faire une performance artistique ou une oeuvre. La place du spectateur est aussi en train d’évoluer, jusqu’à devenir acteur de la performance ?

Oui, dans notre création on essaye de toujours placer le spectateur au centre, et de lui de créer un rôle où il devient la pièce maîtresse de la performance. Quand on crée des pièces live ou des performances en réalité virtuelle, on a toujours ce principe de mettre le spectateur au centre de la pièce. Sans lui, il n’y a rien, rien ne peut se passer. Ce n’est pas comme une pièce sur scène où on peut faire une répétition même s’il n’y a pas de spectateurs dans la salle. Là, c’est vraiment impossible. Avec Whist, c’est vraiment le spectateur qui déclenche la pièce. Aussi, il y a le fait qu’il y a qu’une histoire, mais il y a 76 possibilités de perspective dans cette histoire. Donc chaque spectateur va créer sa propre perspective, sa propre journée dans la pièce, et c’est ça qui est unique à notre création.

Pouvez-vous nous conter davantage le concept de Whist ?

Ce n’est pas une création linéaire qui a qu’un seul point de vue. Le concept c’était de créer une pièce inspirée de l’inconscient. On avait fait déjà des recherches sur Freud. On a été aidé par une psychanalyste qui nous a plus expliqué en profondeur tous les symboles, les analyses. On voulait vraiment que l’inconscient du spectateur guide l’histoire. On leur propose des choses dans chaque scène, dans laquelle il y a beaucoup de symboles, de choses qui peuvent attirer l’oeil ou pas, des choses qui peuvent gêner des fois ; du coup le spectateur va tourner la tête pour ne pas les voir. Toutes ces réactions sont prises en compte dans chaque scène, et cela permet de capturer l’oeil du spectateur de façon à créer une histoire. C’est le spectateur qui définit sa journée à travers l’histoire. Tout cela est fait inconsciemment. On ne donne jamais le choix au spectateur. On ne leur demande jamais de choisir entre la porte bleue et la porte rouge. Car on ne voulait pas créer cette sensation de frustration de ne pas savoir ce qu’il y a derrière la porte rouge si on choisit la porte bleue. Il y a l’impression d’une histoire linéaire, mais en fin de compte ce n’est pas le cas. On explique tout cela avant la performance aux spectateurs.

Le fait que le spectateur soit actif dans la pièce, comment cela a modifié votre processus de création ?

Le but principal c’était que le spectateur soit libre. En 2014, quand on a commencé à créer la pièce, il n’y avait pas de solutions pour l’eye-tracking, tout était très linéaire, il y avait beaucoup de restrictions. Même les softwares avec qui on travaille, comme Unity, ne reconnaissaient pas la spatialisation du son. On a dû créer les solutions. C’était très important pour nous que le spectateur reste libre, dans la pièce quand il se déplace dans le réel, mais aussi dans le virtuel. C’est pour ça qu’on a donné la sensation au spectateur de se déplacer dans les différentes scènes. Avec le travail de la caméra, on a essayé de faire déplacer le spectateur pour donner cette sensation de liberté, de choix. On ne voulait pas montrer les limites.

Repousser les limites de l’art avec la réalité virtuelle

Maintenant que toutes les technologies dont vous parlez existent, est-ce cela ouvre plus de possibilités pour vous ? Est-ce que vous avez des projets pour explorer de nouveaux champs ?

Si l’opportunité se présente, oui je pense. Mais de notre côté, on a fait le tour de la question. On préfère regarder dans d’autres directions et se concentrer sur de nouvelles créations. Notre nouvelle création, par exemple, ce sera une performance live. On regarde du côté de l’intelligence artificielle, du transhumanisme, toutes ces tendances que tout le monde regarde aussi. On veut vraiment encore créer un spectacle où le spectateur est au centre de la pièce. Pour ça, on va utiliser des capteurs électroniques qui seront placés sur l’audience. Cela va vraiment capturer les données du spectateur pour pouvoir les utiliser en temps réel dans le décor de la pièce qui va réagir et s’adapter. 

L’utilisation des nouvelles technologies, en dehors de la réalité virtuelle, reste quand même important dans votre travail ?

Oui et non. C’est vrai que l’on s’intéresse beaucoup à la VR, on est très curieux. Dès qu’il y a quelque chose qui se passe dans un laboratoire, dans une université, par exemple quand on voit qu’on peut faire léviter des matériaux, ça nous anime, ça déclenche des trucs dans notre tête. Non, car toutes nos créations commencent par des questions, par rapport à la vie ou notre anxiété, à des choses que l’on vit personnellement. Ensuite, nos recherches se passent dans un bureau, on rencontre aussi beaucoup d’universitaires, de philosophes, qui nous inspirent et pour lesquels on a un centre d’intérêt. Tout part de là. On ne part pas de la technologie, on part plus de questions presque philosophiques. Et après on peut être amené à utiliser des technologies, comme on est amené à utiliser de la lumière, des costumes, de la musique. Ce n’est pas le centre principal, même si notre compagnie aime bien explorer les nouvelles technologies.

Pensez-vous que la réalité virtuelle a de l’avenir dans l’art ?

Je pense que c’est une bonne plateforme pour explorer, pour créer. Notre compagnie donne beaucoup de stages sur la danse et la VR. On leur montre comment on crée une pièce en 360, à quoi il faut penser, qu’est-ce qu’il faut éviter etc. C’est un outil. Mais rien ne remplacera la performance classique. Il n’y a rien de plus fort que de voir un danseur, un acteur, un chanteur devant soi. C’est pour cela qu’on retourne au live. Mais cette pièce était un moyen pour nous de créer quelque chose d’énorme avec beaucoup de décor, des danseurs et des effets spéciaux, qui se retrouve à la fin dans un fichier. C’est beaucoup plus facile pour partir en tournée, on a pas besoin de techniciens, de danseurs. On a aussi vu qu’on pouvait attirer un autre type de spectateur avec les nouvelles technologies. On a été dans des festivals de film, des bibliothèques, des centres commerciaux. On a pu établir une relation avec un très large public. C’est ce qu’on aime le plus. À la fin de l’expérience, un numéro s’affiche dans le casque qui correspond à une des 76 possibilités. Donc on leur explique à quoi correspond ce numéro, qu’ils peuvent aller sur le site internet pour voir une analyse de leur personnalité. Du coup, on a échangé avec chaque personne. C’est vraiment très spécial. Quand on est danseur, on est sur scène, on fait le salut, et on part. On ne rencontre pas les 2000 spectateur qui étaient dans la salle. Alors qu’avec Whist, on peut le faire. C’est quelque chose d’unique ! On a pu vraiment tisser un lien fort avec notre public. C’est une expérience assez spéciale.

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