L’art en ligne s’est profondément transformé depuis la pandémie mondiale.
Crédits photos : Julio Nery (Pexels)
Du 14 au 16 avril 2021, la partie virtuelle du festival international d’art numérique Recto VRso s’est tenu en ligne dans le Laval Virtual World. De nombreux intervenants internationaux (artistes numériques, curateurs, professionnels de la culture…) se sont rassemblés. Le 14 avril, Maurice Benayoun, Peggy Schoenegge et Maxence Grugier ont interrogé les enjeux de l’art en ligne aujourd’hui, à travers des projets artistiques ou d’exposition, ou des observations de ces pratiques actuelles. Quant à Myriam Achard, Julie Walsh, Giorgio Vitale et Valérie Hasson-Benillouche qui ont intervenu le 15 avril sur la question de la curation de l’art numérique entre exposition réelle et exposition virtuelle, ont partagé lors d’un panel modéré par Elhem Younes, leurs expériences.
L’espace d’exposition artistique devient virtuel
La pandémie qui s’est abattue sur le monde a aussi eu un impact important sur le monde de l’art. Au-delà des conséquences négatives (fermetures des galeries d’art, annulation des expositions…), ce contexte particulier a fait naître une effervescence nouvelle de créativité. Durant les restrictions sanitaires le public n’a plus accés aux lieux culturels et artistiques, comment faire ? Quels moyens les artistes ont-ils pour diffuser, montrer et vendre leurs œuvres ? Comment la pandémie mondiale a-t-elle poussé les artistes à explorer de nouveaux terrains de jeu ?
“Les mondes virtuels ont créé un terrain de jeu pour une nouvelle génération d’artistes”, c’est ce qu’a affirmé Maxence Grugier, journaliste spécialisé dans l’art numérique. L’annulation des expositions fut un déclencheur pour s’approprier les mondes virtuels. Ils sont devenus de nouveaux espaces d’exposition, mais également de création in-situ. Ces espaces en ligne se sont aussi avérés très utiles pour la diffusion de l’art auprès du public. Comment cette transition numérique s’est-elle opérée ? Quels changements profonds cette transformation a-t-elle impliqués ?
L’art en ligne : une tendance historique
Depuis les années 90, des artistes investissent le réseau internet pour la création et l’exposition de nouvelles formes artistiques interactives conçues pour, ou à travers ce support. L’art en ligne est ainsi un mouvement historique auquel la pandémie a donné un nouveau sens. Maurice Benayoun, figure pionnière de l’art numérique, travaille la réalité virtuelle et produit des œuvres avant-gardistes depuis les années 1990. Par exemple, en 1995, il expose “The Tunnel under the Atlantic” (Le Tunnel sous l’Atlantique), qui connectait deux musées d’art contemporain sur deux continents différents. L’idée était de “connecter deux cultures en explorant le médium de la réalité virtuelle” alors même que le web venait tout juste d’émerger. C’est l’époque du Net Art, comme le précise Maxence Grugier.
Peggy Schoenegge, curatrice indépendante à Berlin, spécialiste de l’histoire de l’art, met également en avant cette riche histoire de l’art en ligne. En 1991, le projet artistique “Virtual Museum” utilisait déjà les nouvelles technologies. C’est donc tout naturellement qu’elle a continué dans la voie du virtuel aujourd’hui. Son exposition “Portrait of a Future” est une réplique numérique de la Priska Pasquer Gallery à Köln en Allemagne. Ce dont elle s’est rendue compte avec l’utilisation d’un monde virtuel comme espace d’exposition, c’est la liberté de création : “De nouvelles possibilités sont nées avec l’arrivée des mondes virtuels. Il n’y a plus aucune limite !”, s’est-elle réjouie.
Pour certains, le recours à l’exposition en virtuel était tout nouveau. “Je fais davantage d’expositions réelles que d’expositions virtuelles”, a expliqué Valérie Hasson-Benillouche, fondatrice de la Galerie Charlot. “La grande différence c’est que lorsqu’on crée une exposition, il faut trouver l’œuvre monumentale qui habillera l’espace. En virtuel, c’est l’espace qui s’adapte à l’œuvre d’art.” L’expérience de visite est également différente : “quand on va à une exposition physique, c’est une expérience que l’on partage avec d’autres personnes avec qui on échange”. La particularité des formes de l’art en ligne et des expositions virtuelles actuelles a ainsi soulevé la question de la visite : comment convaincre le public ?
Musées virtuels, expositions en ligne : quand l’art va vers le public
Avec la fermeture des musées, galeries et centres culturels, il a fallu également penser au public. Comment apporter du contenu artistique aux visiteurs ? “La pandémie a été un choc pour nous quand elle est arrivée. Nous avons dû fermer nos portes pendant quelques mois. Nous avons donc décidé d’aller vers notre public, en développant plusieurs programmes”, explique Myriam Achard du Centre Phi. Le premier projet, “Parallel Lines” est une résidence artistique virtuelle : “nous avons demandé à 10 artistes de créer une œuvre d’art en 60 jours. Au bout de ces 60 jours, nous avons fait une exposition en ligne sur notre site web”.
Le Centre Phi a aussi proposé le projet “VR to go” pendant le confinement. C’est un service qui permettait aux visiteurs de louer un casque VR pour tester les expériences à la maison. Ce service était disponible dans 4 endroits du monde. Un projet similaire a aussi été proposé par la Synthesis Gallery : on peut louer un casque VR en Europe et au Royaume-Uni, et accéder à une collection d’œuvres d’art en réalité virtuelle produites par des artistes pionniers du genre. Pour Giorgio Vitale, fondateur de la Synthesis Gallery, il était important “de continuer à amener l’art VR aux masses et éduquer le public”. Maxence Grugier rappelle très justement qu’aujourd’hui “les institutions artistiques, les musées et les artistes offrent des visites virtuelles en ligne”, et donc plus accessibles.
La transformation de l’œuvre et de son statut
L’accroissement et surtout l’étoffement de l’art en ligne suite à la pandémie a provoqué une profonde transformation. Ce n’est pas seulement les artistes qui ont changé leur méthode de travail, et les institutions qui ont imaginé de nouveaux espaces d’exposition. Parfois, c’est l’œuvre elle-même qui a évolué : sa forme, son statut, sa valeur, sa diffusion, le message qu’elle porte.
La pandémie a été source d’inspiration pour véhiculer des messages inédits. Julie Walsh nous présentait le projet “Re-start” du Chicago Art Museum : “c’est une réaction artistique internationale à la pandémie mondiale, autour de l’urbanisation et l’écologie”. Ce projet pose des questions existentielles : pourquoi l’histoire tend à toujours se répéter ? Comment l’humanité peut-elle apprendre de ses erreurs répétées ? Plusieurs artistes pionniers qui ont participé à ce projet s’interrogent sur l’identité et sur notre place en relation avec la nature.
Les artistes posent aussi des questions sur l’œuvre elle-même : “le statut de l’objet d’art a été interrogé”, affirme Maxence Grugier. En effet, en passant d’une exposition physique à un monde virtuel, qu’en est-il du statut de l’œuvre ? “Quelle est la position de l’œuvre originelle dans la galerie virtuelle ?”, s’est interrogé Peggy Schoenegge. Est-ce que l’œuvre numérique est seulement une représentation de l’œuvre physique ? La galerie virtuelle dans laquelle se trouve les œuvres est-elle aussi un objet d’art ? Est-ce qu’une œuvre numérique immatérielle a autant de valeur qu’une œuvre physique palpable ?
NFT, blockchain, crypto-art : le marché de l’art numérique
La valeur et par conséquent la vente des œuvres numériques a été un sujet abordé pendant les conférences. L’art numérique est autant susceptible d’être vendu, échangé, acheté. Maurice Benayoun évoque un projet dans la ville de Taipei à Taïwan où le public était invité à matérialiser les valeurs humaines avec sa propre pensée. “À la fin, le public reçoit un QR code qui lui concède la propriété de son œuvre qui fait maintenant partie de sa collection personnelle. Après avoir reçu le modèle 3D, il peut commencer à échanger et acheter”.
Maxence Grugier évoque les NFT (non-fungible token) : dans le cadre de l’art, c’est ce qui permet de concéder et vérifier la propriété d’une œuvre numérique. c’est une sorte de crypto-monnaie unique et non interchangeable “Les NFT c’est quelque chose de nouveau dans le monde de l’art”. Le terme de “blockchain” revient également dans le monde du marché de l’art numérique. La blockchain permet d’authentifier une œuvre numérique. Pour Maurice Benayoun, “la blockchain devrait devenir un médium pour les artistes.” Sur le marché de l’art numérique, beaucoup de questions doivent encore être posées.
En conclusion, l’art en ligne est un mouvement artistique qui existe depuis les années 1990 avec le Net Art. La pandémie récente l’a néanmoins bousculé et de plus en plus d’acteurs du monde artistique se sont mis à faire des œuvres et des expositions virtuelles. Cet engouement pour l’art en ligne a eu des répercussions sur l’œuvre : “aujourd’hui, nous, artistes numériques, sommes en train de transformer le concept et la forme de l’œuvre“, a conclu Peggy Schoenegge.