La perception du corps et du genre est interrogée par l'artiste-chercheuse.
Crédits photos : Chia-Chi Chiang
L’artiste-chercheuse Chia-Chi Chiang s’intéresse à la représentation du corps humain. Depuis plusieurs années, elle mène des expériences artistiques autour de notre perception de l’érotisme et de la sexualité en utilisant les nouvelles technologies. Elle expose son œuvre Tout ce qui a une forme est irréel lors de l’édition 2023 du festival d’art numérique Recto VRso.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?
Doctorante en Images Numérique au laboratoire INRév sous la direction du professeur Chu-Yin Chen, je m’intéresse particulièrement à la représentation du corps humain à travers les nouvelles technologies. Combinant les pratiques et les théories de la médecine chinoise, ma recherche porte sur le potentiel artistique offert dans la représentation des réseaux et des vaisseaux sanguins. Ancienne élève de l’ENSBA (Atelier Guillaume Paris/Jean-Luc Vilmouth), j’ai créé une série de performances en mettant en scène mon propre corps. Mes démarches entendent soulever les questions de la structure sociale et les phénomènes culturels. J’ai obtenu le diplôme DNSAP avec les félicitations du jury et le Prix Multimédia de la fondation de l’ENSBA. Afin de promouvoir les échanges interculturels, j’ai organisé des conférences et rencontres réunissant des artistes et chercheurs venant de Taïwan, de la Chine et de l’Europe.
Depuis quand explorez-vous les technologies dans l’art ?
Quelles incidences sur les relations humaines peuvent découler d’un mode de communication direct et libre entre les communautés ? Quels comportements peut-on qualifier de “sexuels” ou comme une agression et viol dans les réseaux ? Des activités sexuelles peuvent-elles être pratiquées sans autres interactions que la communication vocale par téléphone ? Je me suis posé la question pour la première fois lorsque mes parents m’ont montré une publicité érotique américaine en 2005. C’était l’époque où les forums de discussion sur Internet tels que Yahoo, MSN et Skype étaient très populaires. Le projet Buzz me! est le point de départ d’un jeu de séduction et de provocation.
En 2007, j’ai mené cette expérience artistique en me déguisant en prestataire de services érotiques en ligne pour vérifier si quelqu’un m’appellerait vraiment. Sur les affiches érotiques me mettant en scène publiée dans l’espace public, le numéro de téléphone de contact était celui d’une vraie professionnelle. J’ai par contre utilisé un compte Skype réel pour communiquer avec certains clients et même reçu des appels érotiques depuis les États-Unis.
Vous avez déjà participé à Recto VRso lors d’une précédente édition. Que représente ce festival pour vous ?
L’art est un mode de vie. C’est une joie de laisser les œuvres être exposées en tant qu’art, et le partage et la participation sont un bonheur. C’est ici que j’espère toucher la vie de ceux qui aiment l’art, ou qui veulent en savoir plus.
Pouvez-vous nous décrire la nouvelle œuvre que vous allez exposer à Recto VRso 2023 ?
Il y a deux sculptures : le son des deux microphones montre une projection de texte (l’action de la projection est comme la pluie, elle va disparaître sur le bol, puis le texte projeté va disparaître ; la calligraphie écrite sur le tableau disparaîtra lorsque l’eau s’évapore).
Le sens de Tout ce qui a une forme est irréel ne signifie pas quelque chose d’abstrait et d’ambigu ; il s’agit plutôt de tous les objets matériels ou de faits concrets et simples. Lorsque nous faisons l’expérience de quelque chose à travers nos sens, tous les phénomènes tels que le son, l’odeur, la couleur et la température ne peuvent être considérés comme existant que parce que nous les avons vus et entendus ; plus important encore, leur existence dépend de notre perception et de notre conscience. Il n’existe pas de vérité absolue pour la nature elle-même. La nature change à chaque instant ; “ceci” se transforme constamment en “cela”.
Quelles thématiques explorez-vous dans vos œuvres ?
J’interroge la question de l’affranchissement du rôle dans mon travail, depuis la notion de la corporéité jusqu’à celle du corps numérisé dans l’acte de performance. J’aborde le corps et l’espace, la re-jouabilité ou l’acte de réactualiser des œuvres de performance en direct comme support documentaire. Je reviens sur mon processus de création basé sur de multiple représentation ou “avatar” de moi-même, pour mieux comprendre les multiples relations qui se jouent dans mes performances : entre l’œuvre et moi, l’œuvre et le public, ma culture et la société ou le contexte créatif.
L’extension technologique du corps tel que les réseaux les permettent rendra-il les relations humaines obsolètes ou bien étendront-elles ses possibilités ? La course à l’augmentation numérique et sensorielle à travers les nouvelles interfaces physiques (retour d’effort, tactile…) permet-elle d’envisager un effacement du corps biologique dans sa relation à l’autre telle que nous la connaissons ? Qu’en est-il de la question très actuelle et sensible sur le genre, dans des relations essentiellement expérimentées et performées au sein de plateformes dématérialisées ?
Essayez-vous de passer un message à travers vos œuvres ?
Le corps humain peut modifier la perception du genre en se déguisant et les utilisateurs peuvent exprimer leurs pensées à travers des mots. Les artistes numériques utilisent une forme artistique pour donner au public un sentiment de participation et faire en sorte que ce dernier soit un co-créateur. La conscience de genre des gens revient aux idées que se font ces derniers du monde à travers les médias. L’orientation sexuelle doit être une réflexion et un choix propre à chacun.
Il s’agit de réfléchir sur l’auto-éveil des rôles et du genre féminin dans la société patriarcale, ainsi que sur la cognition du genre dans la société traditionnelle. De là découle la question fondamentale sur l’égalité des sexes, et sur l‘interaction humain-machine dans le champ de la science et de la technologie.
Pour vous, qu’apportent la réalité virtuelle et les nouvelles technologies à l’art ?
Aujourd’hui, de nombreux artistes jouent sur des comportements sociaux pour dépasser la binarité du corps. Ils utilisent l’inversion des rôles pour ré-interpréter le genre, qui consiste à exprimer un retour à l’être humain, plutôt que reproduire simplement des comportements sexospécifiques. Il est possible de revenir à la perspective de la pensée humaine elle-même et de l’auto-identification à partir du comportement du corps intervenant dans l’interface technologique.
Selon vous, comment les technologies ont-elles changé le rapport entre l’œuvre et le spectateur ?
Nous pouvons exprimer nos réactions émotionnelles et nos histoires de vie en agissant à travers notre corps. Dans toute communauté, qu’elle soit physique ou virtuelle, les membres ont besoin de croire en une histoire commune. Ainsi, le spectateur des œuvres numériques ont eux aussi besoin d’avoir une croyance en un scénario commun.