Le programme de conférences de Laval Virtual prévoit un retour dans le passé.
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À l’occasion de la 25e édition de Laval Virtual, salon international sur les technologies immersives, de nombreux speakers sont invités à parler de l’avenir de la réalité virtuelle. Parmi eux, Christoph Runde, directeur du Virtual Dimension Center, fait une présentation dans le cadre du cycle de conférence “Industrie à 360° : la XR d’hier à demain”. De l’écosystème allemand au concept de “cimetière de la XR” en passant par l’évolution du marché immersif en Europe, Christoph Runde nous dresse un panorama du passé et du futur de la réalité virtuelle.
Comment avez-vous atterri dans le secteur des technologies immersives ?
J’ai étudié le génie électrique, plus particulièrement l’automation, à l’Université Technique de Dortmund, à l’ISEN de Lille et à l’Université d’Haute Alsace à Mulhouse. J’ai commencé ma carrière chez Porsche, en travaillant sur les systèmes de contrôle du châssis des voitures. J’ai ensuite rejoint l’Institut Fraunhofer d’ingénierie de la fabrication et de l’automatisation (IPA). C’est là-bas que j’ai eu l’opportunité de mener de multiples projets VR. Ils étaient destinés à développer la technologie VR pour concevoir des usines et des systèmes d’automatisation. Les débuts n’ont pas été faciles, car je n’avais pas d’expérience en matière de visualisation et de VR, mais j’avais quelques connaissance en techniques de simulation, ce qui m’a aidé.
En 1999, vous êtes arrivés au poste de Responsable VR à l’IPA de Francfort. C’est aussi à cette année que Laval Virtual fut créé, et nous étions à l’aube des technologies immersives. Vous avez vécu l’évolution de la XR depuis cette époque. A-t-elle évolué comme vous le pensiez ?
En réalité, je pense que l’on était à l’aube 10 avant cela, en 1989. En 1999, la première vague et engouement pour la VR était déjà fini et elle s’est retrouvée dans la vallée de la déception de Gartner. La VR a commencé à se commercialiser à la fin des années 80, et l’AR au début des années 90. Au début et au milieu des années 90, la VR/AR promettait de faire n’importe quoi, mais il est ensuite devenu évident que la VR impliquait un effort d’installation énorme avec des équipements coûteux : ordinateurs SGI, projecteurs et systèmes de tracking. Sans parler de l’immense effort de préparation des données, car les systèmes informatiques de l’époque n’étaient pas adaptés au traitement de très grandes scènes en 3D.
Je pense que tout le monde qui travaillait dans ce secteur avait conscience que la VR/AR avait encore un long chemin à parcourir. Il y a eu une importante évolution de la VR/AR, notamment sur le prix des casques VR, des systèmes de tracking et des projecteurs 3D, mais on aussi vu l’apparition de l’AR sur les smartphones et les tablettes, de kit de développement de lunettes AR comme l’Hololens, de moteurs de jeu-vidéo, et de systèmes de gestion de contenu et de préparation de données. La XR est devenue un phénomène de masse maintenant, sans être pour autant la “norme” pour tous les gamers ni les entreprises industrielles.
Vous allez faire une présentation à Laval Virtual 2023 intitulé : “Positionnement et perspective industrielle de la XR en Allemagne en 2023”. À quoi ressemble le marché de la XR en Allemagne ?
Le marché XR en Allemagne est très éparpillé et comporte un grand nombre de solutions de niche très intéressantes, tandis que certains essayent de réaliser des projets de développement XR, non spécialisés, mais pour un large groupe potentiel de clients. Les plateformes XR génériques allemandes sont rares, mais quelques entreprises comme rooom ou Mapstar tentent précisément d’y parvenir. Le marché général est caractérisé par une croissance régulière depuis 25 ans.
Le chemin de diffusion de la XR au sein du domaine industriel est assez typique : les grands groupes innovants comme Mercedes, Volkswagen et Airbus ont commencé avec la XR dans les années 90, et d’autres ont suivi. C’étaient des entreprises venant d’autres secteurs de la mobilité comme celui des véhicules commerciaux, des trains ou des bateaux. Ensuite, ce fut des sociétés d’usinage et de la santé. Depuis quelques années, il y a même des solutions XR pour le milieu de l’artisanat. Je pense que cela montre les réels progrès réalisés par la XR depuis la fin des années 80, lorsque les États et l’armée étaient les seuls utilisateurs de la technologie, jusqu’à aujourd’hui où des micro-entreprises comme les artisans peuvent s’offrir des services en VR.
En 2007, vous avez rejoint le Virtual Dimension Center. Comment cette nouvelle infrastructure aide-t-elle l’écosystème allemand ?
Le Virtual Dimension Center (VDC) a été créé en 2002 par un groupe d’entrepreneurs du secteur XR qui ont voulu rassembler leurs forces pour créer une association : un système de gestion du réseau XR dans la région de Stuttgart. Je suis arrivé en tant que directeur général en 2007. Le VDC mène un grand nombre d’activités pour la mise en réseau de ses membres et pour la diffusion de la technologie XR vers la communauté extérieure. Nous organisons une cinquantaine d’événements chaque année, nous collectons et rassemblons des informations sur la XR, nous publions des papiers sur la XR pour aider le monde extérieur à comprendre son potentiel et son utilisation.
Vous parlez souvent du “cimetière de la XR”. Quel est ce concept ?
Le cimetière de la XR comprend une vue d’ensemble de toutes les voies de développement sans issue que nous avons vues par le passé. On peut citer par exemple : l’autostéréoscopie avec barrière lenticulaire ou parallaxe, la télévision 3D, les écrans plasma 3D (qui fonctionnaient très bien avec des lunettes à volets), les projecteurs LCD (très bien adaptés aux filtres polarisants), les postes de travail immersifs (par exemple le Baron de Barco et le TAN Holobench), les interfaces sous forme de table (où les a-t-on vu apparaître dans l’industrie ?), les postes de travail haptiques complexes nés dans les années 90. D’autres technologies, comme le lightfield, sont utilisées à la place. Je pense qu’il est judicieux d’avoir une idée de ce qui a déjà été essayé dans le passé et des résultats obtenus avant de développer de nouvelles choses. Il y a peut-être eu de très bonnes idées qui pourraient être réutilisées aujourd’hui ; il y a peut-être eu aussi de mauvaises expériences avec une approche de R&D assez similaire à celle que nous connaissons aujourd’hui.
Cette année, le programme des conférences de Laval Virtual est axé sur le thème “Regarder le passé et le présent pour préparer l’avenir”. On dit souvent qu’il faut apprendre de ses erreurs. Le marché du XR apprend-il de ses erreurs ?
En fin de compte, c’est l’entreprise, le marché, la demande et l’offre qui déterminent les solutions qui seront couronnées de succès et celles qui disparaîtront. Si je vois le développement de gants haptiques, dont les fonctionnalités sont similaires à celles que nous avions il y a 25 ans (peut-être avec seulement quelques nouvelles technologies à l’intérieur), j’ai tendance à dire “non”. Si je vois le manque de compréhension de ce que signifie l’introduction de la réalité virtuelle dans une utilisation industrielle régulière et stable, dans des processus commerciaux industriels bien établis, dans des modèles commerciaux solides, j’ai tendance à dire “non”. En outre, le bilan des casques de réalité augmentée n’est pas convaincant : ODG, Metavision, Dacqri sont de l’histoire ancienne. Le HoloLens et Magic Leap n’ont pas fait de percée. En revanche, les progrès considérables réalisés dans le domaine des casques de réalité virtuelle, des systèmes de suivi et des moteurs de jeu sont énormes.
Selon vous, sur quoi devrions-nous agir pour assurer un avenir fructueux aux technologies immersives dans notre monde ?
Les nouveaux casques VR bon marché et puissants ne sont pas la solution à tous les défis posés par la réalité virtuelle. Fournir à la VR un contenu de bonne qualité, produit rapidement et de manière automatisée ; intégrer la VR dans les processus de développement et de planification en remplaçant les méthodes de travail traditionnelles ; convaincre chacun que la VR apporte un avantage individuel à son travail – tels sont les principaux défis à relever.
Comment voyez-vous le marché XR européen dans les prochaines années ?
Nous n’avons pas de position dominante dans le domaine des solutions XR pour les consommateurs et le divertissement en Europe. Nous n’avons pas d’entreprises mondiales très fortes qui produisent du matériel électronique grand public. Il est peu probable que l’Europe crée une énorme plateforme XR mondiale dans les années à venir. Cependant, nous avons des industries fortes ici et nous sommes particulièrement forts dans le domaine de l’industrie manufacturière. En outre, nous ne devons pas sous-estimer notre industrie créative.
Ce que je vois, ce sont d’excellentes solutions XR spécialisées en provenance d’Europe. On ne peut développer des solutions convaincantes qu’en collaborant avec le client. Nous disposons d’une excellente base de clientèle en Europe. C’est notre bastion. Nous devons garder un œil sur les grandes plateformes et les écosystèmes commerciaux afin de ne pas devenir dépendants des propriétaires de grandes plateformes. Les normes et les standards d’interopérabilité pourraient contribuer à maintenir notre scène européenne XR dans le jeu.