Body Remixer est une installation immersive qui connectent des personnes.
Crédits photos : iSpace Lab, SFU
En 2020, l’Art&VR Gallery virtuelle de Recto VRso a exposé des œuvres en réalité mixte et virtuelle qui explorent le thème “Corps réel / Corps virtuel”. John Desnoyers-Stewart, ingénieur, designer, artiste et doctorant à l’Université Simon Fraser de Vancouver au Canada, a participé au projet en proposant une oeuvre. Il a créé, avec une équipe de l’iSpace Lab (Katerina Stepanova, Bernhard Riecke, and Patrick Pennefather), Body Remixer. Body Remixer est une installation immersive qui prolonge notre corps et stimule une connexion sociale. Nous nous sommes entretenus avec lui, et l’avons questionné sur son oeuvre, son lien avec Recto VRso, ses projets à venir et comment il s’est adapté à 2020.
Pouvez-vous décrire votre œuvre, Body Remixer?
Body Remixer est une installation interactive et immersive qui transforment les corps en systèmes de particules. Nous utilisons Kinect pour tracker les corps dans l’espace, jusqu’à 6 personnes. Pendant l’expérience, les participants voient leur reflet dans un miroir virtuel projeté sur les murs, de manière à interagir directement avec le système. Ils peuvent aussi enfiler un casque VR, et les personnes autour deviennent des corps virtuels en particules. Ils n’ont alors plus aucune idée de leur identité. Tout le monde se ressemble, seulement les couleurs sont différentes.
À partir de là, selon s’ils utilisent un casque ou le système de projection, ils peuvent se faire un high-five. En faisant cela, ils connectent leurs deux corps et les particules se mettent à circuler entre eux, créant ainsi un sentiment de connexion. Ils peuvent aussi faire un high-five avec leurs deux mains. Ils échangent alors de corps et fusionnent ensemble. Il y a une sorte de superposition, on peut voit à la fois son propre corps et celui de l’autre participant. Cela est censé attiré leur attention sur la différence de mouvements.
L’idée est de les encourages à bouger ensemble, à se répondre l’un l’autre. En outre, pour renforcer cette synchronie des mouvements, nous avons ajouté une réponse audio (un bruit de tambour). Plus les mouvement des deux corps se synchronisent, plus le son du tambour est fort. Il devient moins fort quand les personnes ne bougent pas de la même façon. Les utilisateurs peuvent jouer sur le système ainsi. L’idée est aussi que ça les laisse apprendre et explorer l’installation.
Vous avez participé à Recto VRso 2020. En quoi votre œuvre fait référence au thème “Corps réel / Corps virtuel” ?
Ce qu’on essaye avant tout de faire avec Body Remixer c’est non pas de remplacer ou échapper à la réalité, mais plutôt la prolonger et s’appuyer sur des corps réels pour créer cette présence virtuelle qui coïncide avec eux. Il y a donc un lien entre le corps réel et le corps virtuel, et non une séparation. C’est davantage une expérience de réalité mixte qu’une expérience de réalité virtuelle qui appelle au toucher, chose qui est souvent manquante dans la réalité virtuelle.
Ce qui est intéressant c’est cette fusion entre le corps virtuel et le corps réel. Mais aussi cette divergence entre les deux. C’était aussi une intention de créer un corps neutre qui n’a pas de genre précis, afin que tout le monde puisse s’y identifier. Nous espérions aussi que les personnes y voient une présence fédératrice. Un des messages que l’on veut faire passer c’est qu’au fond, nous sommes tous les mêmes.
Vous avez aussi exposé à Recto VRso @Vancouver en septembre. Avez-vous présenté la même oeuvre ? Avez-vous modifié votre installation ?
Puisque le système original est centré sur le toucher et le contact physique, il n’était pas compatible avec les distanciations sociales. J’ai donc essayé de le recréer pour un usage en ligne et en téléprésence. En soi, c’est le même système, mais au lieu d’aller dans une galerie et de voir une installation physique, il faut simplement télécharger le programme. Quand on le lance, il se connecte automatiquement à un serveur qui associe des personnes ensemble. Au lieu d’être dans la même pièce physiquement, on se retrouve dans un environnement virtuel avec quelqu’un d’autre.
Là, on est face à des gens totalement anonymes. Dans cette version en téléprésence, on ne sait pas avec qui on interagit. On a essayé l’expérience avec des collègues de l’iSpace Lab, et on ne savait pas du tout qui était qui. C’est une interaction très anonyme. Sinon, cela fonctionne pareil ; on peut toujours faire un high-five pour se rapprocher. D’autres gestes ont aussi été ajoutés : avec la manette, on peut par exemple lever son pouce ou saluer. C’est le seul outil de communication puisqu’il n’y a pas d’audio, on ne peut pas se parler. Cela crée un environnement et un espace intéressants.
Crédits photos : (gauche) Photo by Stephen Crocker / (droite) Composite by John Desnoyers-Stewart. Original photos © Andreas Psaltis, 2019.
Vous faites aussi partie de la galerie d’art virtuelle de Recto VRso. Comment avez-vous adapté Body Remixer pour une exposition virtuelle avec aucune interaction ?
Dans la galerie virtuelle, on ne peut pas interagir avec les œuvres. J’ai fait de mon mieux pour retranscrire la version originale. J’ai utilisé des animations et j’ai créé une représentation de deux danseurs qui se répondent mutuellement. On peut donc voir ces danseurs virtuels qui font des mouvements au hasard. Ils bougent, en synchronie ou non. Cela vous donne une idée du fonctionnement du système. Mais c’était impossible de recréer l’interactivité de la version originale. Mais il y a toujours la musique qui répond à la synchronie des corps. Cela représente toujours l’œuvre, même s’il manque beaucoup d’éléments.
Si on fait un bilan de l’année 2020, comment la crise sanitaire vous a-t-elle impacté et votre façon de travailler ?
Cela a eu un gros impact. Je travaille constamment à la maison. Je ne suis pas allé sur le campus depuis mars. Je m’intéresse davantage à la téléprésence et cela se ressent dans mon travail. Au départ, mon doctorat était centré autour de la coprésence et l’interaction physique. Avec le COVID, j’ai changé de direction et j’ai commencé à m’intéresser à la façon dont les personnes interagissent les unes avec les autres quand elles sont présentes physiquement ou non.
L’adaptation de Body Remixer est la première étape. Nous travaillons aussi sur un prototype plateforme de connexion et d’incarnation en téléprésence qui va connecter et rapprocher les gens grâce à des biofeedbacks et des formes de communication verbale. Cette plateforme va marcher comme Body Remixer, avec un serveur en ligne qui connecte les gens au hasard, mais il y aura beaucoup plus de canaux pour communiquer. Mais nous essayons de nous concentrer sur certaines choses auxquelles on ne fait pas attention, comme notre respiration ou le battement de notre cœur. Je travaille aussi sur un projet avec Margherita Bergamo.
Pouvez-vous me parler de ce projet avec Margherita Bergamo ?
J’ai découvert Recto VRso en 2019 durant Recto VRso @Vancouver où j’ai vu l’œuvre de Margherita, Eve, la danse est un espace sans lieu. Quand je l’ai vu, j’ai tout de suite voulu rentrer en contact avec elle car nous avons le même objectif qui est de connecter les gens ensemble et faire en sorte qu’ils s’expriment davantage. Ensuite, quand l’édition physique de Laval Virtual a été annulée, j’ai été invité à faire une conférence à Recto VRso [pendant le Laval Virtual World, ndlr] où j’ai parlé de Body Remixer. J’ai rencontré Margherita là-bas et nous avons commencé à discuter d’une future collaboration.
Aujourd’hui, nous travaillons sur un projet qui s’apparente à une itération d’Eve : c’est une performance de danse avec beaucoup d’éléments interactifs. L’original a été créé à partir de vidéos en 360 qui montrent au participant la chorégraphie à suivre. Il y aura une partie avec des graphiques générés en temps-réel. Ce sera une représentation très abstraite durant la moitié de la performance qui répondra aux mouvements des participants. Ce sera un mélange de nos précédents travaux et de nos deux visions.
Qu’est-ce que vous et Margherita voulez explorer avec cette expérience ?
Ave ce projet, nous espérons pousser les participants à suivre l’image et à bouger d’eux-mêmes. Quelques réponses les encourageront pendant l’expérience. Il y aura 6 histoires différentes. Chacune d’entre elles sont liées à un état mental et émotionnel auxquels sont confrontés les gens comme l’anxiété ou la dépression. Les histoires suivent 6 personnes qui doivent faire face à ces états. On veut encourager l’empathie à travers cette performance.
Dans le concept original, 6 personnes suivent les 6 histoires en simultané et le danseur est au centre pour leur ouvrir la voie. Le danseur performe ce qu’on appelle des “incarnations” et touche les participants. Comme dans Body Remixer, le toucher est central dans cette expérience. Et à un moment donné, une connexion se fait entre les participants. C’est l’implantation rêvée.
Mais je suppose que vous avez aussi dû adapter le projet pour le rendre covid-compatible…
Oui, comme vous le dites très justement, il a fallu nous adapter. Mais je pense que c’est particulièrement important de toujours travailler sur la version idéale. Quand les choses reviendront à la normale, les gens auront besoin de se reconnecter entre eux. Cela va être étrange de revenir à l’avant… Beaucoup d’interactions sociales sont absentes de nos vies en ce moment. Avec toutes ces œuvres, nous espérons encourager les gens à se rapprocher et à passer au-dessus des barrières sociales que l’on a construit en 2020.
Pendant ce temps, nous devons réfléchir à une manière d’exposer différemment et de proposer une offre à tous dans les circonstances actuelles. Nous avons donc développé une version à domicile. Le spectateur voit la même chose et expérimente la même expérience, mais avec une personne avec qui il est au quotidien : son partenaire, son colocataire, sa sœur, etc. Une personne met le casque VR, apprend la danse, et donne le casque à l’autre. Puis, la première personne se met à danser, guidée par un écran de télévision ou d’ordinateur, et l’autre participant vit l’expérience dans le casque VR.
Quels sont les autres thématiques artistiques que vous explorez dans vos recherches ?
Mon groupe de recherche s’intéresse particulièrement aux expériences transformatrices et auto-transcendantes qui dépassent les limites normales de notre corps. C’est le thème de Body Remixer. Dans les expériences auto-transcendantes, il y a aussi les expériences sociales qui connectent les gens entre eux et qui vous fait moins sentir comme un individu seul. Je me concentre sur le développement de ce type d’œuvres d’art pour que les gens aient le sentiment de faire partie d’un ensemble plus vaste et de ne pas être isolés. C’est d’autant plus important en ce moment.