Margherita Bergamo explore la réalité virtuelle dans ses performances de danse contemporaine.
Crédits photos : Julia Gaes / Compagnie Voix
Artiste fidèle du festival d’art numérique Recto VRso, Margherita Bergamo propose des performances de danse en réalité virtuelle. Sa principale œuvre, Eve, invite les spectateurs à devenir des acteurs de la performance en les faisant danser. De retour pour l’édition 2023 du festival, elle présentera la troisième version de Eve, toujours plus participative et poétique.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?
Je suis danseuse, chorégraphe et chercheuse. Je me suis consacrée à la danse contemporaine et j’ai terminé mes études de chorégraphie à Barcelone après une carrière professionnelle au sein de l’équipe italienne de gymnastique rythmique. Ensuite, j’ai travaillé avec la compagnie de danse Erre que erre, et j’ai été co-directrice artistique de la compagnie Les filles Föllen.
Je travaille avec les technologies numériques immersives et la réalité virtuelle depuis 2017, date à laquelle j’ai fondé la Compagnie Voix. La création Eve, dance is an unplaceable place (2018), co-créée avec Daniel González-Franco, a remporté le Laval Virtual Award Recto VRso 2019, le Grand Prix VR du Kaohsiung Film Festival, et fait partie du Catalogue numérique de l’Institut Français. J’ai également eu la chance de collaborer avec diverses productions XR, pour Trizz Studio, Atelier Daruma, Digital Rise, Tamanoir, et j’ai collaboré avec les compagnies de danse Seesaw Project et Zeit/Geist Eva Baumann.
Actuellement, je mène une recherche doctorale sur le thème de l’expérience du corps en mouvement dans l’application des technologies numériques immersives, attachée aux unités de recherche Scènes du monde EDESTA de l’Université de Paris 8, et Arts visuels, performatifs et médiatiques de l’Université de Bologne.
Depuis quand explorez-vous les technologies dans l’art ?
J’ai toujours été intriguée par l’expérience du spectateur lors de l’acte théâtral, tant dans des lieux conventionnels que surtout dans des lieux non conventionnels. Dans mon processus de création, j’ai cherché différentes manières de faire participer le public, de l’intégrer dans l’expérience scénique, dans la création des chorégraphies, dans l’implication de son corps lors du jeu scénique.
La rencontre avec Daniel González-Franco et le collectif BeAnotherLab à Barcelone en 2017 m’a ouvert les portes de la réalité virtuelle et m’a fait réfléchir sur la perception du corps du récepteur VR lorsqu’une illusion multi-sensorielle d’incarnation d’un corps virtuel est proposée. Plusieurs idées créatives ont émergé de cette rencontre, et je suis en pleine recherche et réflexion devant ce grand potentiel.
Vous avez déjà participé à Recto VRso lors d’une précédente édition. Que représente ce festival pour vous ? Pourquoi est-ce important d’y exposer ?
Recto VRso est un rendez-vous annuel de référence pour les artistes qui travaillent avec la réalité virtuelle et avec les médias immersifs. Nous avons eu le plaisir d’exposer nos créations déjà en 2019 et 2022, nous en sommes donc à notre troisième expérience. Recto VRso est devenu pour moi un rendez-vous essentiel pour me confronter au travail des autres, me mettre à jour, continuer à expérimenter, où j’ai toujours ressenti une ambiance familiale et de confiance mutuelle.
Le festival Recto VRso propose toujours des lieux insolites pour exposer les œuvres (une chapelle en 2022, un musée-école en 2021, et même un monde virtuel en 2020…). Est-ce que le lieu influe votre manière d’exposer et la scénographie de vos œuvres ?
Chaque année nous avons exposé dans un lieu différent, et la préparation de l’exposition a beaucoup à voir avec l’adaptation de l’œuvre à l’espace proposé, en termes de dimensions, de répartition des éléments dans l’espace et de circulation du public. Cette année en particulier nous utiliserons deux espaces différents, un pour l’exposition en journée, et un pour les performances, qui sont en fin de journée. Les espaces proposés ont toujours été accueillants et ont donné des idées intéressantes pour la mise en scène des performances.
Cette année en plus, pour la deuxième fois, il m’a été demandé de préparer une performance ad hoc après la remise des awards, afin d’accompagner le public vers l’espace dédié à l’exposition, et de présenter l’ensemble des œuvres des artistes. C’est aussi un défi intéressant, qui me permet de connaître et de faire connaître la ligne curatoriale de l’exposition. J’avoue que j’aime concevoir des performances site specific.
Pouvez-vous nous décrire l’œuvre que vous allez exposer à Recto VRso 2023 ?
L’expérience est une immersion dans le point de vue subjectif du personnage d’Eve, une voyageuse qui permet un décalage spatio-temporel. Eve accompagne chaque participant dans un récit différent, au cours duquel ils sont témoins de l’histoire d’une personne touchée par un problème. Les récits sont introduits dans une performance live puis se poursuivent en VR, où les participants sont invités aux mouvements dansés, et viennent incarner un personnage important qui, finalement, aide à surmonter le problème.
Vous avez gagné un Laval Virtual Award lors d’une édition précédente. Qu’est-ce que cela vous a apporté en tant qu’artiste ?
Le prix que nous avons reçu lors de l’édition 2019 nous a permis de confirmer que nos recherches vont dans le bon sens, que le dispositif que nous avons mis en place est une preuve de concept, sur la base de laquelle nous pouvons continuer à travailler. Depuis 2019 nous avons présenté nos performances de danse et réalité virtuelle dans de nombreux contextes et pays différents. Les rencontres et les échanges nous ont permis de grandir et d’enrichir notre bagage professionnel et de faire fleurir de nouvelles idées. Les mêmes collaborateurs que nous avons aujourd’hui avec le projet actuel sont issus des rencontres perpétrées ces dernières années, d’échanges artistiques, de recherche, de méthodologie, d’objectifs vitaux et sociaux. Il me semble qu’à partir de ce jour, l’année commence en avril à Laval !
Essayez-vous de passer un message à travers vos œuvres ?
Eve 3.0 fait réfléchir sur des états de conscience extrêmes communs et répandus comme la dépendance, l’anxiété, la dépression, l’obsession, la jalousie et la paranoïa. Le message est celui de l’ouverture au dialogue, de l’intégration de la communication corporelle et donc non verbale, et de la créativité que le corps nous réserve, qui peut enrichir notre relation avec nous-mêmes et avec les autres. À un autre niveau d’interprétation, nous voulons transmettre l’idée que nous pouvons tous nous retrouver dans des situations problématiques, et que le soutien des autres est important.
Pour vous, qu’apportent la réalité virtuelle et les nouvelles technologies à l’art ?
La réalité virtuelle permet une expérience immersive, une sorte d’entrée dans une nouvelle dimension qui nous détourne de la dimension réelle. À partir du moment où l’on s’isole avec des casques VR, nous rentrons dans une dimension parallèle, et nous pensons à peine à la réalité.
C’est pourquoi les choix artistiques prennent une grande importance pour la transmission d’un message et d’une expérience, car le spectateur est totalement disponible et peut difficilement détourner son attention, à moins d’enlever son casque. En particulier, dans le cas de mes recherches, je suis très intéressée par l’expérience perceptive d’avoir un corps qui n’est pas à soi, par l’idée d’effectuer une sorte de “saut corporel”.
Comment les technologies ont-elles changé le rapport entre l’œuvre et le spectateur ?
Les technologies numériques permettent une interaction, donc une intégration entre le format technologique et les choix de l’utilisateur/spectateur. Elles sont très proches du corps, mais nécessitent souvent des postures et des mouvements mécaniques et répétitifs qui dessèchent notre potentiel créatif et physique. Les propositions artistiques peuvent proposer des variantes intéressantes, jouer autrement avec les technologies numériques, et avancer de nouvelles voies d’intégration dans l’usage que l’on en fait, pour amener l’expérimentation du champ artistique vers un usage quotidien.