Les musées hybrides et expositions virtuelles fleurissent depuis la crise sanitaire.
Crédits photos : Cottonbro (Pexels)
Du 14 au 16 avril 2021, le festival international d’art numérique Recto VRso s’est tenu en ligne dans le Laval Virtual World. De nombreux speakers internationaux (artistes numériques, professionnels de la culture…) se sont rassemblés. Le jeudi 15 avril, Roei Amit, Paul Chaine, Valentino Catricala et Soh Yeong Roh ont présenté leurs dispositifs numériques et les nouvelles technologies de création et de diffusion des œuvres d’art, et lors d’un panel modéré par Urszula Gleisner, ils ont partagé leur expérience sur l’émergence des musées hybrides.
Le basculement des musées traditionnels
La pandémie a bousculé notre monde. La culture a été ébranlée de plein fouet par les mesures sanitaires. Les musées ont dû fermer leurs portes brusquement, avec une seule solution de secours : le digital. Mais pour certaines institutions culturelles, la transition a été un défi. Comment proposer du contenu virtuel à partir d’éléments physiques ? Comment permettre aux visiteurs d’expérimenter un lieu à distance ? Comment se lancer dans une exposition entièrement virtuelle ?
“Les galeries d’art et les expositions sont les premières victimes de la crise du Covid”, a d’abord expliqué Roei Amit, Responsable Digital & Multimédia à la Réunion des Musées Nationaux – Grand Palais. Il a fallu en effet penser à de nouvelles méthodes pour amener la culture aux visiteurs. Mais quels outils utiliser ? Comment mettre à profit la technologie ? Comment les musées traditionnels se sont-ils transformés pendant cette pandémie ?
L’accélération de la digitalisation dans les musées
“2020 a été une année désastreuse sur beaucoup de points, mais elle a permis au public de découvrir que les musées sont aussi actifs en ligne”, a constaté Paul Chaine, Adjoint à la communication au Château de Versailles. Avec la pandémie, les musées ont accéléré leur transformation digitale. Avant cette crise, certains établissements ne misaient pas du tout sur le virtuel. L’équipe du Château de Versailles, elle, expérimente le digital depuis quelques années.
En 2018, la première visite 100% virtuelle du Château de Versailles a été réalisée. Virtually Versailles est une balade interactive pour découvrir l’histoire de cet établissement historique. Rebelote en 2020, où a été lancé “Versailles : le Château est à vous” en partenariat avec Googles Arts & Culture. “C’est une expérience où l’on peut découvrir le Château de Versailles comme il est aujourd’hui, grâce à la technologie de la photogrammétrie“, précise Paul Chaine.
Roei Amit a également cité des exemples de récentes expositions qui ont misé sur la technologie XR pour faire des visites virtuelles, comme “Noir & Blanc” de Grand Palais et “Peintres Femmes” du Musée de Luxembourg. Le grand succès de l’exposition “Pompéi” est aussi un exemple de l’omniprésence des nouvelles technologies dans le monde des musées. Deux futures expositions sont aussi prévues : “Expérience sculpture” en mai et “Palais Augmenté”, un festival d’art en réalité augmentée qui aura lieu en juin.
Vers une transformation de l’expérience de visite
L’utilisation des technologies du numérique a donc mené à l’apparition de musées hybrides. La visite est désormais à la fois physique et virtuelle. C’est une toute nouvelle expérience qui s’offre aux visiteurs de lieux culturels et artistiques ! “Le virtuel ne devrait pas être considéré comme une absence de réalité. On peut utiliser le virtuel pour renforcer la manière dont nous élargissons notre expérience de la réalité”, confie Roei Amit. Pour répondre à cette nouvelle réalité digitale, RMN-Grand Palais a lancé sa filiale “Grand Palais Immersif” pour produire des expositions numériques.
Virtuel et réel ne sont plus deux antonymes. La virtualisation de l’espace permet ainsi d’enrichir la visite sur le site. Au Château de Versailles, “la visite virtuelle permet de préparer sa venue, car c’est un lieu très grand et complexe”, conseille Paul Chaine. L’avantage du virtuel c’est aussi de pouvoir offrir la culture à tous les publics. La dernière expérience du Château de Versailles peut ainsi s’exporter dans les maisons de retraites, les écoles, et même les prisons. “C’est important pour nous que tout le monde puisse avoir accès au château, en particulier ceux qui ne peuvent pas”.
Comment s’emparer du virtuel ?
Alors, comment se lancer dans le virtuel ? Pour certains musées et artistes, le défi est de taille. La crise sanitaire a eu un énorme impact, empêchant de se rendre dans les établissements, de visiter, mais aussi d’exposer et de créer. Quelles solutions s’offrent aux musées et aux artistes face à ce grand chamboulement ?
Une adaptation soudaine pour les musées
Pour les musées, le constat a été amer : la fermeture soudaine de leurs portes. “L’impact du Covid sur le Château de Versailles a été énorme. Nous ne pouvions plus accueillir nos visiteurs désormais”, confie Paul Chaine. Comment rebondir quand les visiteurs ne peuvent plus venir sur place ? “La pandémie a été une situation négative. Cependant, nous étions dans une certaine résilience où nous devions maintenir le contact avec le public”, explique Roei Amit.
Le virtuel a donc changé la donne, faisant naître des expériences inédites, à la fois pour les visiteurs mais également pour les établissements culturels. Les musées ont dû imaginer des contenus différents, pour au final des résultats positifs ! “Il y a eu une grande accélération des contenus culturels digitaux. Nous avons gagné beaucoup d’abonnés sur nos réseaux sociaux”, s’enthousiasme Paul Chaine. Au final, alors que c’était au début un défi monstrueux, le virtuel s’est vite transformé en opportunité. “Le virtuel ne s’oppose pas au réel, il en fait partie. Et je pense que ce n’est pas fini ! Bientôt, de nouvelles possibilités vont s’ouvrir à nous”, pense Roei Amit.
Une opportunité inattendue pour les artistes
Quid des artistes ? Leur quotidien a été bouleversé, au même titre que les musées. Avec la pandémie, ils ne peuvent plus imaginer et exposer leurs œuvres de la même manière. Les expositions ne peuvent plus se tenir en physique. “Au début de la pandémie, les expositions en ligne étaient très simples”, explique Valentino Catricalà, curateur de la SODA Gallery. Au fur et à mesure que les mois ont passé, les artistes se sont laissés aller dans la création. “De plus en plus de personnes participent à ce mouvement. Elles n’ont pas peur de créer des contenus digitaux”, confie Soh Yeong Roh, directrice du Art Center Nabi. Selon Valentino Catricalà, les artistes sont non seulement en train d’expérimenter avec la technologie, mais ils ont aussi le rôle de vecteurs des innovations technologiques et sociétales.
“L’ère des créateurs est arrivée !” ; c’est d’ailleurs ainsi que Soh Yeong Roh a nommé son intervention. Suite à la pandémie et à la fermeture des établissements culturels et des musées, les artistes ont dû s’adapter. Ils ne dépendent plus des institutions culturelles pour créer des œuvres et les exposer. Les artistes sont devenus plus indépendants dans leur création mais aussi dans la vente de leur travail.
“La pandémie est une opportunité pour les artistes digitaux, car ils peuvent désormais vendre leur travail”, affirme Soh Yeong Roh. La technologie de la blockchain est une avancée considérable pour les artistes numériques. “La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée. Par extension, une blockchain constitue une base de données qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création” (source : Blockchain France). Dans le domaine artistique, la blockchain permet de retracer le parcours d’une œuvre de manière 100% transparente et donc de s’assurer de son authenticité.
Ainsi, la technologie a fait naître des musées hybrides et a transformé profondément le travail des artistes numériques. “Le futur sera hybride. Mais en même temps, nous ne pouvons pas endurer de vivre dans un monde virtuel ; nous avons besoin d’exposition physique”, avoue Valentino Catricalà. Pour Paul Chaine, “le digital et la réalité virtuelle permettent de garder le lien avec le public, mais ce ne sont pas des outils de remplacement”. C’est pourquoi les musées doivent se préparer à devenir hybrides, et non 100% virtuels, dans le futur.