Crédits photos : Judith Guez - Guillaume Bertinet
Directrice et curatrice du festival d’art et réalité virtuelle Recto VRso, Judith Guez est avant tout une artiste-chercheuse. Toujours à l’écoute des mouvements artistiques, elle prend aussi le temps de créer. Durant le mois de juillet, elle était l’invitée de la Villa Médicis, prestigieux lieu de résidence artistique à Rome. Elle nous raconte ce voyage après des semaines d’isolement et de résidence artistique.
Qu’est-ce que la Villa Médicis ? Quand on entend son nom, on pense forcément à une riche histoire.
C’est un lieu qui a une très grande histoire qui remonte à l’antiquité. Ce sont les Médicis à la Renaissance qui ont repris ce lieu et l‘on agrandit en un magnifique palais. Pour eux, c’était un lieu de maison, mais aussi de fêtes et de réceptions, pour se montrer. Sous Napoléon, la Villa est rachetée afin d’accueillir l’Académie de France à Rome. C’était un lieu où des artistes renommés sont venus, des musiciens, des peintres, des architectes, etc. Les artistes sélectionnés y venaient de 2 à 4 ans. Ils faisaient parti du fameux Prix de Rome, qui fut arrêté en 1968. C’est donc un lieu assez prestigieux qui s’est beaucoup transformé, avec énormément d’histoire. C’est un lieu magnifique, et inspirant… Quand on se balade dans la Villa et ses jardins, on peut voir des fresques et des sculptures de l’époque (principalement des copies, les originales étant à Florence).
Qu’en est-il d’aujourd’hui ? C’est encore un lieu de référence dans le milieu artistique ?
Oui, c’est un des lieux les plus réputés pour faire des résidences artistiques. Aujourd’hui, c’est toujours l’Académie de France à Rome, et chaque année il y a un appel à projets pour sélectionner des lauréats. 15 lauréats sont choisis pour venir un an. C’est un lieu très recherché dans le milieu artistique du monde entier. C’est un lieu très inspirant pour créer et pour donner ce temps aux artistes qui sont souvent contraints par la production. A la Villa Médicis, ils n’ont pas d’obligation et leur projet peut se transformer tout au long de l’année. Le lieu et Rome influencent aussi les créations. En dehors de son concours, la Villa Médicis s’ouvre à plusieurs programmes et partenariats, avec par exemple l’accueil sur des résidences plus courtes. C’est dans ce contexte que j’y suis allée pour un mois.
Comment as-tu eu donc cette chance de venir créer à la Villa ?
C’est la BNF, la Bibliothèque Nationale de France, qui m’a appelée l’année dernière. Ils recherchaient un(e) artiste numérique. Cela fait deux ans qu’ils ont un programme de revalorisation de leurs archives par des artistes numériques, qu’ils sélectionnent par leur comité. L’année dernière, ils ont choisi un musicien de musique électronique.Cette année, ils m’ont choisi en tant qu’artiste de l’année liée à la réalité virtuelle. L’objectif du projet est de puiser dans leurs archives afin de les utiliser dans la création d’une oeuvre nouvelle de réalité virtuelle. La BNF a un partenariat avec la Villa Médicis et m’a invitée pendant un mois à Rome pour travailler sur ce projet et être en résidence.
Les moments de résidence sont très importants pour la création, car ils permettent des temps coupés du quotidien, et la concrétisation des projets. J’ai déjà fait plusieurs résidences artistiques, pour la phase d’écriture, de création et de production. À Laval Virtual avec le festival Recto VRso (Judith Guez a créé le festival en 2018, ndlr), on organise des résidences d’une semaine avant le salon pour que les artistes installent leurs œuvres in situ. Cette année, on prévoit de lancer des résidences croisées avec Stereolux afin de soutenir ce temps d’écriture et d’expérimentation en création numérique.
En parlant de Recto VRso, ces temps de résidence sont aussi pour toi le moyen de te concentrer davantage sur la création et de laisser de côté ta casquette d’organisatrice de festival ?
Oui, en effet. Chaque été, je garde un mois en off pour justement avoir ces moments de recherche et création. J’ai besoin de ces moments-là pour créer et continuer à interroger les nouvelles formes artistiques qui m’intéressent. Ce temps peux prendre plusieurs formes : soit sur des projets en collectifs, ou seule comme ici avec cette résidence à La Villa Médicis. Le fait d’être toute seule et d’avoir du temps, c’est déstabilisant, surtout après l’effervescence de l’année sur le festival, mais c’est là que revient l’essence de ma créativité.
Dans le cadre de Recto VRso, il y a bien-sûr tout un travail aussi créatif avec la curation des œuvres et la réalisation de la scénographie notamment. Il y a aussi une réflexion qui est menée au pôle artistique et sur plusieurs conférences et workshop, que je tiens à garder autour des sujets tels que par exemple l’exposition d’œuvres immersives et interactives dans des espaces réels et virtuels, ou les enjeux de la création avec ses médiums. J’ai pu aussi présenter des œuvres personnelles par exemple avec le soutien du théâtre de Laval en 2019. Mais c’est différent de pouvoir aussi prendre un temps en dehors du calendrier du Recto VRso, afin de me recentrer, de mieux comprendre ce qui m’anime. Donc c’est vrai que d’être un mois à la Villa Méicis est une grande opportunité. C’est nécessaire d’avoir ces moments-là, pour Recto VRso aussi. Pour moi, j’ai vraiment besoin de toucher à la création et l’expérimentation des nouveaux médiums numériques, afin d’ être plus proche des artistes, et de leurs œuvres.
Es-tu la première à venir à la Villa Medicis pour un projet de réalité virtuelle ?
Je n’ai pas l’impression qu’il y a eu beaucoup de projets avec la réalité virtuelle. Mais ils sont ouverts à tous les médium, à toutes les disciplines. Dans l’exposition des pensionnaires de cette année (plasticiens, des écrivains, des designers, des architectes et des musiciens, etc.), il y a un peu d’art numérique.
Quel est ce projet que la BNF t’a confiée et sur lequel tu travailles à la Villa Medicis ?
Au début, mon sujet était la Vague, la nature, la mer, quelque chose d’intemporel. Je voulais chercher à travers toutes les époques des représentations de la mer, et plus précisément de la vague. Dans les archives de la BNF, on peut trouver des peintures, des photographies, des ressentis par des textes, des enregistrements sonores, et des vidéos.. De plus, ce qui est intéressant avec la réalité virtuelle c’est qu’elle relie plusieurs médiums. Cela me permet de pouvoir utiliser autant des estampes anciennes que du son. Mais quand je suis arrivée à la Villa Medicis , j’ai changé et affiné ce sujet.
La Villa et Rome m’ont vraiment inspiré. Ici, il y a beaucoup de sculptures de Neptune et de chevaux marins, la Fontaine de Trévi notamment. Et puis, l’idée de la Villa c’est d’être un instant pour créer, c’est le côté “rêveries”, et on rêve aussi face à la mer. On est tellement dans une rapidité, on n’a plus le temps de juste regarder les choses. Pour moi, la réalité virtuelle a toujours été un outil de création d’expériences qui permettent de redonner l’idée de l’émerveillement et du rêve, être transporté dans des mondes grâce à la contemplation et plus de lenteur et de présence aux environnements. J’ai donc approfondi mon sujet en étant à la Villa Médicis, que j’ai appelé “La rêverie à travers les époques”.
À quoi ressemblera cette “rêverie” en réalité virtuelle ?
Je travaille beaucoup sur le décor réel et le décor virtuel qui sont toujours très liés, et sur la continuité des médiums. Pour la restitution prévue le 8 décembre à la BNF, j’ai choisi une belle salle boisée car le côté ancien/nouveau m’intéresse aussi, pour montrer cette continuité entre les anciens et les nouveaux médiums. Mon idée est de reprendre un livre très ancien de la Renaissance qui s’appelle “Le Songe de Poliphile” et qui parle d’un personnage qui rêve et décrit son magnifique périple. J’aimerais trouver ce livre à la BNF dans la collection des livres anciens et le placer en réel sur un présentoir, et quand on mettra le casque de réalité virtuelle, on verra exactement le même livre, puis l’environnement autour changera : on sera comme à la bibliothèque, quand on lit un livre et qu’on part dans son imagination, ses rêveries. Et j’aimerais que les éléments des archives de la BNF s’affichent comme des souvenirs comme on peut avoir quand on lit un livre.
C’est comme se retrouver dans les jardins de la Villa Médicis, où c’est un lieu pour rêver et créer. Et au final, cette rêverie nous emmène au bord de la mer, puis à des vagues abstraites, et même peut être aux chevaux marins de Neptune. Je transporte ainsi le spectateur petit à petit, dans des archives, des souvenirs et des rêveries. J’ai aussi fait des séries de photos autour de la rêverie à la Villa, notamment de moi portant un casque. Ce casque qui est un portail aussi pour l’imaginaire et d’autres monde, comme si j’étais face à la mer par exemple. Et j’ai aussi une séries de quelques vidéos de “captures de rêveries” dans les jardins de la Villa Médicis, et quelques scan 3D de sculptures. De plus, on ne sait pas si on pourra enfiler un casque en décembre, au vue du contexte sanitaire.. Donc je réfléchis aussi à faire une scénographie particulière.