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Musées virtuels et réalités muséales

Visite de musées virtuels : la Dresden Gallery

Crédits photos : Dresden Gallery

La réalité virtuelle s’implante de plus en plus dans le domaine de la culture et de l’art, permettant de nouvelles expériences de visites mais aussi de création. L’intégration du virtuel questionne l’approche classique des musées et amène à leur réinvention. Suzanne Beer, Professeure agrégée en philosophie et enseignante en Arts Numériques à l’Université Paris-Est Marne-La-Vallée, fait un tour d’horizon de ce nouveau phénomène en présentant son ouvrage et en proposant une classification des musées virtuels.

Un livre sur la question de l’identité des musées virtuels

Présenter mon livre, Musées virtuels & Réalités muséales, dans le contexte du salon international de réalité virtuelle de Laval Virtual et, plus précisément de Recto VRso, la partie artistique initiée et dirigée par Judith Guez, m’a amenée à focaliser plus le côté XR et 3D de mon étude. Le livre est écrit sur un plan théorique qui part d’un point de vue volontairement très généraliste, pour poser la question de l’identité des musées virtuels, recherchée à cause de toute la variété définitionnelle qu’ils connaissent depuis le début de leur histoire au début des années 90. Cette focalisation fait perdre la question des documentaristes selon lesquels les musées virtuels ne peuvent être que des documents et pas de véritables musées, des compléments, jamais des substituts.

Axe Réel/Virtuel : complémentarité et substitutivité, les enjeux de la virtualisation

Comme le montrent les axes des différentes conférences de Recto VRso, le plan du rapport de la virtualité à la réalité n’est pas perdu. Au contraire, il se trouve au cœur de la XR. La réflexion sur les musées virtuels en 3D et VR entre donc de plain-pied et s’ancre dans ce questionnement. Si on a perdu la réponse iconoclaste, la question de la dénaturation des œuvres originales par leur transposition dans les médias numériques est conservée. Le problème posé par l’aspect reproductif, représentationnel des musées virtuels apparaît bien, et cela même dans les musées virtuels qui présentent des œuvres nativement numériques. Les solutions trouvées cette année ont montré que la simulation développe des mondes bien différents du monde réel dans lequel il faut interpréter l’œuvre en VR. Ainsi, un mode reproductif est introduit, non pas un mode duplicatif.

Comme tout objet et monde en XR, les musées virtuels entrent dans deux rapports principaux avec les musées réels (IRL). Ils sont soit dans un rapport de complémentarité lorsqu’ils constituent la part posée dans un média numérique, dans un monde virtuel, d’un musée réel. Ou bien les musées virtuels sont dans un rapport de substitution, lorsque leur présentation tient lieu d’exposition muséale à la place du musée réel et quand ils entendent être par eux-mêmes des musées réels, institués.

Relation de complémentarité : le musée virtuel comme ajout au musée réel

Nous faisons un tour d’horizon des déclinaisons de la relation de complémentarité. Selon ce rapport, tout musée virtuel n’existe que comme partie ajoutée d’un musée réel.

Visites virtuelles de lieux muséaux existants

Les grands musées se sont munis de visites en 360° de leurs espaces soit par leurs propres moyens, comme le musée de l’Hermitage, le Louvre, soit par leur inscription dans le projet Google Arts&Culture comme pour le plus grand nombre d’entre eux. La VR fait pénétrer dans la spatialité et la matérialité des musées réels, comme dans la visite de l’Atelier de Bourdelle, dans laquelle la photogrammétrie permet de restituer en haute résolution l’apparence des sculptures sous tous leurs angles.

La visite de musées virtuels : l'Atelier du Bourdelle
La visite de l’Atelier de Bourdelle en réalité virtuelle par Art of Corner

Complémentarité par développement du sens de l’objet muséal

Les musées réels ont grand besoin des médias numériques pour développer la compréhension de leurs objets. Les parties virtuelles des musées réels permettent de donner voix et vie aux objets réels comme imaginaires des musées du monde physique. Les fusées de Spaceflight Museum de Second Life sont visitables, alors qu’elles n’existent plus et ne sont pas exposables dans les espaces du musée du Smithsonian Institute de Washington. Chaque avatar peut explorer l’univers par ses propres moyens.

Complémentarité par développement du sens de l’objet imaginaire muséalisé

Les êtres imaginaires des romans et séries de science-fiction est un enjeu de taille pour les musées de littérature, art dans lequel la fiction portée par le verbe se déploie de façon purement mentale. A Hollywood, à Washington, des musées de sciences fictions construisent des muséographies analogiques. La VR et la 3D dans des mondes persistants comme sur Second Life apportent une immersion dans les mondes qui les rend habitables, leur apporte une réalité.

SciFi museum – Second Life

Complémentarité par exploration du monde imaginaire d’une peinture

Bien que la peinture ait l’avantage de donner une image du monde imaginaire immédiatement perceptible, la contemplation des tableaux est un plaisir dépassant largement les seules sensations visuelles pour entrer, si ce n’est dans un monde narratif, du moins dans un horizon de sens. Visiter à sa guise une peinture comme si nous habitions dans son espace fictif en 3D ou en VR est une autre dimension de la complémentarité apportée par les musées virtuels. La visite d’un tableau de Dali, ou le voyage vers l’Ile des morts dans une production en 360° du tableau de Böklin, apporte une expérience d’exploration sensible et intelligible du monde diégétique de l’artiste.

Complémentarité par apport d’existence à l’hétérotopique et l’hétérochronique

Les modes de XR servent également de possibilités importantes pour les musées réels, comme dans les sites archéologiques ou dans des expériences novatrices connectant les visiteurs réels et virtuels d’un musée. Un musée réel peut, enfin, se donner une fenêtre dans le monde virtuel pour compléter son existence réelle, et dans ce cas, le rapport avec l’architecture muséale est l’apport rendant possible cette relation de complémentarité.

Relation de substitution : le musée réel remplacé par un musée virtuel

Selon la relation de substitution, le musée virtuel prendra la place d’un musée réel selon un mode d’autonomisation. La relation réel/virtuel s’enrichit du jeu avec les modes d’existence des êtres. Ainsi, un musée virtuel substitutif peut remplacer un musée réel de façon temporaire, ponctuelle, mais il peut aussi se déployer de manière à se substituer à tout musée réel. Le mode substitutif remplace les réalités muséales de manière en jouant sur les divers attributs de l’existence.

Substitution spécifique en mode de réplique de musée existant

Dans le premier cas, le musée virtuel peut se substituer à un musée réel comme réplique virtuelle de musées existants. C’est ainsi que le Second Art Galeries de Dresde sur Second Life est une réplique substitutive du musée existant de la ville éponyme. L’existence du substitut possède une réalité car cette réplique a été construite selon une certaine autonomisation par rapport à son modèle réel. Il s’y déroule une vie sociale particulière, et une existence culturelle médiée par une motricité affranchie des contraintes de la gravité.

Visite de musées virtuels : Staatliche Gemäldegalerie Dresden
Avatar en lévitation dans la Staatliche Gemäldegalerie Dresden – Second Life

Mode de réplique de musée pré-existants

Des répliques virtuelles peuvent préexister des musées à venir, dont la réalité est éventuelle. Ces musées virtuels projettent des musées bien réels (mais qui ne le sont pas actuellement). Le Musée virtuel du Gabon est une réplique pré-existante d’un musée réel à venir, de même que les prototypes d’expositions réelles de la partie « université » des Musées de l’Ile Moya, aussi sur Second Life, sont les préfigurations d’expositions bien réelle est prévue -ou à prévoir.

Visite de musées virtuels : le musée virtuel du Gabon
Musée virtuel du Gabon

Mode de réplique de musées post-existants

Des répliques virtuelles « postexistantes » présentent des doubles virtuels de musées disparus, de lieux qui n’existent plus et ne peuvent être rendus à l’existence. Le double sur Google Arts&Culture du Musée National du Brésil de Rio de Janeiro se substitue au musée réel qui a entièrement brûlé.

Visite de musées virtuels : le Musée National du Brésil
Musée National du Brésil – Google Arts&Culture

Substitution en mode général : autonomie des musées virtuels en 3D/VR 

Le rapport de substitution peut également être général quand les musées virtuels visent l’existence exclusivement dans les mondes virtuels. Certains musées virtuels se pensent dans le média virtuel comme permettant l’existence d’expositions impossibles à réaliser avec les contraintes physiques, comme pour l’UMA (Universal Museum of Art) de Jean Vergès, qui reprend la conception du Musée Imaginaire de Malraux. Il y a une activité de commissaire d’exposition active, proposant des expositions temporaires sur des thématiques artistiques jointes à des effractions aux espaces et temporalités réelles.

Visite de musées virtuels : UMA, Universal Museum of Art
UMA, “Les Mythes fondateurs”

Le Noomuseum de Yann Minh rapproche la visite dans un monde virtuel de celle du théâtre de mémoire pour réaliser une visite guidée touchant les espaces mentaux à partir d’une expérience dans les espaces virtuels.

Substitution en mode général institionnalisant : musées virtuels institués en 3D/VR

L’aspect institutionnel dans un musée virtuel 3D et VR de substitution est présent dans le projet de l’AMDM (Adobe Museum of Digital Media), qui se voulait une institution de l’art numérique dans le monde virtuel.

Visite de musées virtuels : Adobe Museum of Digital Media
AMDM

Le musée virtuel comme musée institué réel sans réalité tangible mais avec une existence ubiquitaire associée à une sensorialité complète est ciblé par le musée Kremer, qui a choisi de présenter sa collection d’art flamand numérisée par photogrammétrie au public mondial en VR plutôt que dans une installation localisée géographiquement. Le musée virtuel de la SCAM peut relever de cette catégorie si l’on estime que la volonté des sociétaires était bien de doter leurs collections d’un véritable lieu muséal exclusivement en 3D.

Où est la corrélation entre substitution et complémentarité ?

Visite de musées virtuels : le DiMoDa
DiMoDa, musée virtuel d’œuvres d’art en VR

Finalement, les catégories de complémentarité et de substitution peuvent se corréler de manière particulière, comme dans le cas d’un musée virtuel en VR qui vise une complémentarité initiée par la partie virtuelle. C’est le cas de DiMoDa, musée virtuel d’œuvres d’art en VR d’Alfredo Caro et Robertson, couple une production en VR à une exposition dans des lieux réels et une durée limitée.

Il est clair que cette présentation ne reprend qu’une sélection de l’ensemble de la recherche typologique de mon livre, qui entreprend de saisir le phénomène de façon exhaustive, jusqu’au moment le plus proche de sa publication en mars 2020, juste avant le confinement. Je donne bien la date de clôture de la recherche, car les figures des musées virtuels évoluant sans cesse, il est impossible d’avoir une image fixe de ce qui ressemble à un virus. D’autant que la transformation de la vie à cause des mesures de protection sanitaire provoquées par le COVID 19 généralisant le besoin de substitution amène sûrement de nouvelles perspectives dans ce domaine, ne serait-ce que par la construction du musée virtuel de Recto VRso.

visit the virtual 2020 Art & VR Gallery
À propos de l'auteur

Agrégée de philosophie et docteur en esthétique, science et technologie des arts. Auteure d'une thèse doctorale sur les musées virtuels, j'ai aussi créé des prototypes. Je poursuis l'étude de ce domaine dans de nombreuses publications.
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