Le concept d'identité est questionné par l'apparition des mondes virtuels et du travail à distance.
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Beaucoup de choses ont été dites cette année sur le développement des usages des technologies immersives. Il est vrai que nous avons vécu une période unique dans l’histoire de nos sociétés, avec une réduction drastique des contacts physiques dans toutes les situations de la vie. Le monde professionnel s’est vu projeté dans le “travail à distance” sans beaucoup de préparation et avec des outils souvent inadaptés. Les offres de “mondes virtuels” se sont développées et les plus grandes entreprises du numériques, les GAFAM, se sont positionnées pour participer à ce mouvement, si ce n’est en prendre le contrôle.
Privacy, identité et données personnelles
Un concept semble émergé de toutes ces annonces, petit à petit, dans la droite ligne de l’augmentation de nos usages numériques : l’identité. Ce n’est pas complètement nouveau puisque depuis nos premiers pas sur internet nous avons construit des “profils” nous décrivant de plus en plus précisément. En utilisant des avatars en réalité virtuelle nous avons franchi un nouveau pas. En effet, l’animation d’un double virtuel nécessite un certain nombre de capteurs supplémentaires pour enregistrer nos mouvements, nos gestes (même involontaires) ou nos expressions. Le “profil” ainsi créé est bien plus précis que celui provenant classiquement de nos interactions sur le web. Plusieurs études ont même montré que ce profil pourrait nous caractériser, nous identifier, de manière extrêmement précise.
Nous vivons également une période où la confiance dans les gestionnaires de nos profils est particulièrement faible. Ces entreprises privées ont été secoué par de multiples affaires de fuites de données; Le modèle économique même, basé sur la vente de nos données personnelles, n’est pas fait pour nous rassurer.
L’affaire de la fusion Oculus-Facebook
Dans ce contexte, les dernières annonces de Facebook sur la gestion des comptes Oculus ont fait l’effet d’une bombe. Pour en faire un résumé simple, l’ensemble des activités d’Oculus étant fondues dans Facebook, il devient obligatoire d’utiliser un compte Facebook pour utiliser le casque, y compris dans les usages professionnels. En créant le “Facebook Reality Lab”, l’entreprise affiche une forte volonté d’intégrer tous les éléments de son écosystème. Les futurs outils de réalité augmentée utiliseront très probablement eux aussi un compte Facebook, lié à un profil qui, d’après les CGU de la plateforme, doit correspondre à une personne physique utilisant son vrai nom. En plus de toutes ces données, le profil sera également enrichi par des éléments contextuels provenant de l’environnement et rassemblés dans une couche personnelle (“personal layer”) du “Facebook LiveMaps” sorte d’index global reliant les objets des mondes réels et augmentés.
Bref, Facebook est en train de construire une identification particulièrement précise de chaque utilisateur de ses outils à un niveau qui pourrait faire passer les analystes de Cambridge Analytica pour de gentils amateurs. Évidemment nous prenons ici l’exemple de Facebook car c’est l’entreprise qui semble la plus avancée dans le domaine. Les autres géants numériques de Chine et des USA semblent embarqués dans la même stratégie de construction d’écosystèmes.
Quelles solutions s’offrent à nous ?
Face à ce constat, la société civile s’organise et, depuis 2 ou 3 ans, commence à apporter des réflexions et des solutions. La récente parution du Privacy Framework de l’XRSI s’attache par exemple à mieux définir la gestion des données entre le fournisseur de solutions immersives et l’utilisateur. Les groupes comme l’Open AR Cloud pose les bases d’une interopérabilité entre les solutions immersives et donc de la portabilité des identités. De nombreuses conférences et rencontres se sont déroulées sur ce thème dont certaines organisées par l’équipe de Laval Virtual comme le Think Tank en 2018. Cette rencontre a permis par exemple à Kent Bye de structurer son “XR Ethics Manifesto” qui aborde ce problème de l’identité. La question sort petit à petit du domaine strictement lié aux technologies immersives pour interroger plus largement dans les milieux du numérique comme on peut le constater dans ce live « Réenchanter Internet » du 15 octobre 2020 en lien avec le livre “WEB 2.0 15 ans déjà et après ?”
La prise de conscience au niveau des entreprises du domaine est aujourd’hui un enjeu de souveraineté de l’Europe. Le clé d’entrée du marché grand public en AR et en VR sera l’identification simple des utilisateurs car elle conduira à la monétisation des applications. Si le modèle de “store” qu’on connaît aujourd’hui (et qui semble déjà s’imposer) est la propriété de quelques entreprises géantes, il sera très difficile de peser sur les évolutions (techniques, financières, sociales, éthiques, etc.) du secteur. Il est grand temps pour tous les professionnels de se regrouper dans les associations et les groupements existants pour faire entendre leur voix et tracer leur propre chemin dans ce futur “immersif”.